Pauline Jacquelin saisit l’effleurement entre l’espace du dedans – frissonnant, paisiblement – et le dehors. Non pas le dehors suscitant ce sentiment de divorce, d’absurdité, dont parlait Camus ; au contraire, le dehors pressenti au fond de soi, dans la vie sauvage qui rassure d’exister à part nous, en dehors de nous, mais aussi en nous. Orée, espace de porosité, frontière mal dessinée, où les arbres se resserrent, où les bruits et les chants affleurent, où la fuite est déjà une rencontre, où le corps se prépare à un autre monde. Dans l’épaisseur de cette lisière, murmure un charme trouble et sensuel, parfois prolongé en étreinte, en confidence. Ici, la vie s’écoule, calme et sûre, avec toute sa simplicité, son étrangeté aussi ; surtout, avec toute sa densité. Vaguant entre chien et loup, à l’orée des forêts – dans ces espaces de porosité aux frontières mal dessinées –, les motifs de Pauline Jacquelin semblent vouloir nous rassurer, comme le faisait Henri Michaux dans ses Poteaux d’angle : « Tu peux être tranquille. Il reste du limpide en toi. En une seule vie tu n’as pas pu tout souiller. » Nulle grandiloquence, dans ce lieu intime et vaste, dans ces plis et replis amis ouverts sur le dehors, mais une évidence aussi étrange, douce et charmante que la lumière d’un ver luisant. Qui aura croisé le regard d’un renard le sait : il y a au creux de nous une moelle curieuse, une moelle pour laquelle tout est rencontre, même la fuite. Il lui suffit d’un rien, d’un tressaillement – mais on en manque tant – pour qu’elle s’émeuve. Subtil miracle, Pauline Jacquelin lui parle, en images. Dès lors, on se sent bien, consolé. Ou mieux : attendri ; réconcilié. Cette moelle, un peu animale, un peu enfouie, et qui anime l’œuvre de Pauline Jacquelin, pour y murmurer, y vibrer, un poème, peut-être, saurait l’évoquer :
L’invisible
La bête est invisible, me dit K. Prends ce fusil vide et va la trouver. J’errais des journées entières et cherchais dans les sombres forêts. En Amazonie. Derrière les rideaux aux plis profonds. Dans tous les tiroirs fermés à clé. Mais la bête ne voulait pas se montrer. Une nuit, je veillais tout en sueur pensant à elle. Alors elle daigna apparaître sur le rebord de la fenêtre. Une boule touffue, hirsute. Avec de ces oreilles émouvantes. C’est la première fois que je me montre à un être humain, me dit-elle. Pourrais-tu, peut-être, me caresser ?
Niki-Rebecca Papagheorghiou,
Le Grand Fourmilier
Julien NOUVEAU